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A voscia mula hè troppa chjuca (La langue corse des textes) 


le Samedi 23 Mars 2013 à 14:49

Jean Chiorboli poursuit sa pertinente série de chroniques pour Corse Net Infos. Au sommaire du jour : "La langue corse des textes". Les textes écrits, littéraires ou autres, se nourrissent notamment de la langue parlée. Pour qui s'intéresse à l'étude la langue corse, à son fonctionnement et à son évolution, ils constituent un matériau abondant, disponible, indispensable.



A voscia mula hè troppa chjuca (La langue corse des textes) 
Les grammaires ont souvent recours à des exemples "préfabriqués" plus ou moins naturels ou pertinents. Un tel procédé ne s'impose pas dans le cadre d'une réflexion linguistique fondée avant tout sur l'observation de l'usage, et donc illustrée par des citations authentiques. Le sujet de cet article est l'emploi de troppu en corse.

1. A voscia mula hè troppa chjuca (R.Coti) 103,;"Votre mule est trop petite"

Syntaxe
Troppu "trop" (adverbe, adjectif, pronom, substantif) est employé de manière différente selon les variétés. En règle générale, il est invariable chez les auteurs du Nord, et s'accorde avec le nom ou l'adjectif dans les textes du Sud, où on note cependant divers emplois, on trouve parfois chez les mêmes auteurs aussi bien l'accord que l'absence d'accord avec l'adjectif:
1. Troppa brutta (De la Foata)
2. Troppu piena (De la Foata)
Contrairement à ce qui se passe pour d'autres niveaux (phonologie, morphologie notamment) les différences syntaxiques entre les diverses variétés corses sont rares. Nous en avons ici un exemple.
Grammaires et dictionnaires corses signalent le type troppu chjuca, troppu miseria en soulignant la divergence par rapport à l'italien (par exemple P.Marchetti, L'usu corsu) mais ignorent le type troppa chjuca. G.Gaggioli dont l'ouvrage est "basé sur le parler de Marignana" signale que troppu s'accorde dans la "zone Sud", sans donner d'exemples.
Alors que l'italien (et les variétés toscanes) semblent ignorer le type troppu doli, signalons que le type troppa bona est connu en italien ancien, en toscan populaire, ou en "romanesco, umbro, marchigiano" (Rohlfs).
Voilà qui devrait conduire à nuancer certains jugements trop systématiques. Certaines caractéristiques corses ne sont pas toujours et forcément d'origine toscane, et le Nord n'est pas toujours plus toscanisé que le Sud.

Résumé
Il ne faut pas oublier qu'une même forme lexicale peut appartenir à plusieurs catégories, et peut fonctionner différemment dans certains environnements syntaxiques, par exemple hè forte (adjectif) et parla forte (adverbe); ou bien hè bellu / hè bellu scemu (cet emploi d'adjectif en fonction d'adverbe est courant ailleurs, notamment en italien central et méridional).
Le français trop est à l'origine un nom d'origine germanique; le latin médiéval troppus ("troupeau") a donné diverses formes (corse troppu; italien troppo) employées pour diverses fonctions.
Dans ci hè troppa fanga, troppu est adjectif et donc s'accorde avec le nom, en corse du Sud comme en Italien.
En corse du Nord, troppu reste invariable dans ci hè troppu fanga et a donc valeur d'adverbe. Cet emploi adverbial est spécifique et inconnu en italien. Le seul emploi comparable est le type troppo di varietà attesté en italien où il est considéré comme un gallicisme (cf. "trop de variété"). Cependant on notera que la construction corse (Nord) reste spécifique par rapport au français (absence de préposition) ainsi que par rapport à l'italien ancien où elle apparaît en présence d'un "substantif partitif" (Rohlfs), alors qu'en corse du Nord elle ne connaît pas ce type de limite (ci hè troppu soldi).

L'usage littéraire
Troppu + nom Invariable
3. troppu doli (G.Notini) 406

Variable
4. Troppa stizza (R.Coti) 666
Troppu + adjectif
I
nvariable
5. Era troppu piena (A.Trojani) 109

Variable
6. troppa brutta (De La Foata) 059
Jean CHIORBOLI